mardi 21 Octobre 2025
Le rapport annuel 2024 de la Commission des Jeux de Hasard dresse un constat sans appel : malgré une avalanche de réformes (interdiction des bonus, séparation des sites, relèvement de l'âge à 21 ans), l'institution peine à remplir sa mission faute de personnel et de moyens. Un déséquilibre inquiétant alors que le secteur n'a jamais été aussi encadré.
L'année 2024 aura été celle des grands bouleversements pour la Commission des Jeux de Hasard (CJH). Entrée en vigueur de nouvelles législations, interdictions successives, extension du champ de la régulation… mais avec un encadrement humain à bout de souffle. « Aucun renfort en personnel n'a été rendu possible », déplore la présidente Magali Clavie, soulignant que la CJH comptait à peine 38,3 équivalents temps plein fin 2024, contre 57 prévus dans son plan de personnel.
Le directeur Steve Mees confirme un « échec total » en matière de recrutement, évoquant les blocages administratifs avec le SPF Justice et le refus du SPF BOSA d'accorder plus d'autonomie à la Commission. Résultat : pas de publication des données financières du secteur, faute de personnel pour les traiter.
L'année a vu l'entrée en vigueur de trois lois fondamentales (18 janvier, 18 février et 7 mai 2024) et d'un arrêté royal du 12 août 2024. Ces textes redessinent en profondeur le cadre du jeu en Belgique :
Plusieurs opérateurs (dont Ascot et Betfirst) ont introduit des recours devant la Cour constitutionnelle, dénonçant une atteinte à la « canalisation vers l'offre légale » et une différence de traitement avec la Loterie Nationale.
Le dispositif EPIS (Excluded Persons Information System) reste l'outil phare de protection des joueurs. Fin 2024, il recensait 58.249 personnes exclues sur base volontaire ou judiciaire et plus de 450.000 visites bloquées dans des établissements ou sur des sites de jeux.
Quelques chiffres marquants :
À noter que 79 % des demandes d'exclusion ont été introduites via Itsme®, et 21 % avec une personne de confiance désignée.
La campagne « Fais une pause avec EPIS », diffusée pendant l'Euro 2024 et les Jeux olympiques, a également renforcé la visibilité du système.
Au 31 décembre 2024, la Belgique comptait 14.997 licences actives, dont :
Les librairies continuent de disparaître : 1.281 licences actives seulement (–13,7 %), contre 1.812 en 2021. La CJH y voit l'effet durable de l'arrêté royal de 2022 visant à lutter contre les « faux libraires ».
Malgré le manque de moyens, la CJH a mené 256 contrôles ciblés en 2024 dans le cadre de ses plans d'action « Été 24 » et « Automne 24 ». Objectifs : surveiller la publicité, l'application du relèvement d'âge, la vérification EPIS et l'interdiction des bonus.
Bilan :
Les contrôleurs, désormais dotés du statut d'officier de police judiciaire (OPJ), ont dressé 74 procès-verbaux pénaux et saisi 72 machines pour un total de 48.322 €.
Les procédures visent principalement : le non-respect d'EPIS, l'exploitation illégale en ligne, le cumul de licences et les bonus interdits.
La CJH consacre une part croissante de son budget à la consultation mensuelle de la Banque nationale pour le contrôle des limites de dépôt (453.877 € en 2024, estimés à 700.000 € pour 2025). La présidente Magali Clavie juge cette mesure « d'un coût disproportionné » pour une efficacité limitée.
Elle plaide pour que les personnes en défaut de paiement soient automatiquement inscrites dans EPIS, plutôt que de maintenir un double système entre la CJH et la BNB.
Membre du GREF et active au sein de la NAGRA et de l'ICPEN, la CJH s'est distinguée en 2024 par son engagement dans la régulation des loot boxes et des contenus aléatoires payants. Elle a également participé à la conférence annuelle du GREF à Malte et au webinaire conjoint GREF-NAGRA sur la publicité des jeux.
L'accord de gouvernement du 31 janvier 2025 prévoit enfin une réforme structurelle de la CJH avec un transfert de tutelle vers le ministre de l'Économie, une mesure attendue depuis 25 ans.
Le rapport 2024 révèle une Commission fragilisée, contrainte de gérer un flux réglementaire sans précédent avec des moyens dérisoires. Si la protection des joueurs progresse, la CJH alerte sur un risque de perte de contrôle opérationnelle face à la multiplication des règles, des recours et des acteurs illégaux. Son avenir dépend désormais de la réforme promise - et du soutien politique qui devra enfin l'accompagner.