dimanche 9 Novembre 2025
La Belgique atteint un record historique de 194.000 personnes interdites de jeux d'argent. En cause : une explosion des auto-exclusions, facilitées depuis 2022 par l'application Itsme®. Si cette hausse traduit une prise de conscience, elle met aussi en lumière les limites d'un régulateur sous-doté face à un marché en pleine expansion.
Les chiffres de la Commission des Jeux de Hasard (CJH) confirment une tendance de fond : jamais autant de Belges n'ont été exclus du jeu légal. Au 1er novembre 2025, la liste EPIS (Excluded Persons Information System) recensait 135.383 exclusions actives, soit 8 % de plus qu'en début d'année. En y ajoutant 59.000 interdictions professionnelles - visant notamment les magistrats, huissiers, notaires ou membres des forces de l'ordre - le total grimpe à 194.108 personnes. Autrement dit, un adulte sur cinquante ne peut plus jouer dans le circuit légal belge.
Le principal facteur de croissance reste l'auto-exclusion volontaire, choisie par des joueurs souhaitant prendre leurs distances avec les paris ou les jeux de casino. Selon les données de la CJH, 66.970 dossiers, soit 34,4 % du total, relèvent de ce type de demande.
En janvier, on en comptait encore 56.459 : la hausse dépasse 15 % en dix mois.
Cette progression s'explique en partie par la simplification du processus : depuis fin 2021, toute personne peut s'autoexclure en ligne via Itsme®, un outil qui a levé bien des freins administratifs. La CJH a d'ailleurs indiqué sur LinkedIn, le 31 octobre, avoir reçu plus de 10.000 demandes d'exclusion via Itsme® depuis le 1er janvier 2025, soit près de 1.000 par mois. Un chiffre révélateur de la montée des démarches de protection personnelle.
Les exclusions préventives continuent de peser lourd dans les statistiques. La CJH comptabilise 60.267 dossiers liés à un règlement collectif de dettes (31 %), 59.166 exclusions professionnelles (30,4 %), et 8.146 exclusions judiciaires (4,2 %). Ces mesures, souvent automatiques, visent à protéger les personnes vulnérables ou à préserver l'intégrité de certaines professions. Elles s'ajoutent à la vague d'exclusions volontaires, traduisant une vigilance croissante autour du risque de dépendance.
Cette hausse des interdictions contraste avec la bonne santé économique du secteur. Selon les données les plus récentes, les mises totales ont atteint 31,5 milliards d'euros en 2023, soit 13 % de plus qu'en 2022, pour des pertes nettes estimées à 1,7 milliard d'euros. Les jeux en ligne représentent désormais plus de la moitié du produit brut du marché belge. Le nombre de joueurs actifs en ligne est passé de 113.000 en 2020 à 156.000 en 2024, confirmant l'essor du digital dans les habitudes de jeu.
Face à cette explosion de l'activité, la Commission des Jeux de Hasard reconnaît manquer de moyens pour assurer un suivi complet du marché. Dans son rapport 2024, elle évoquait déjà un manque de personnel et une capacité de contrôle limitée, notamment face aux sites illégaux et à la publicité numérique.
« Le secteur du jeu évolue à toute allure, mais le régulateur est à la traîne », constate Bram Constandt, professeur à l'Université de Gand. Une situation paradoxale où la prévention progresse, mais où la régulation peine à suivre.
L'augmentation des auto-exclusions, même si elle traduit un sursaut de lucidité de la part des joueurs, souligne aussi la gravité de la dépendance au jeu en Belgique. En facilitant la démarche via Itsme®, la CJH a rendu la protection plus accessible, mais la multiplication des exclusions révèle un problème systémique : celui d'une offre de jeu toujours plus massive, soutenue par des campagnes commerciales agressives et un contrôle encore trop limité.