lundi 16 Juin 2025
Depuis l'introduction d'Itsme dans le processus d'auto-exclusion, les chiffres explosent : plus de 61.972 Belges se sont volontairement interdits de jeux de hasard via la liste EPIS. Un système plus simple, plus rapide, et un outil devenu central dans la lutte contre l'addiction. Décryptage d'une tendance qui reflète autant un progrès technologique qu'un besoin criant de protection.
Depuis 2022, il est possible pour les joueurs belges de s'auto-exclure des jeux de hasard via l'application d'identité numérique Itsme. Cette simplification a eu un impact spectaculaire : on est passé d'environ 3.000 demandes d'auto-exclusion par an avant 2022 à plus de 6.000 par an aujourd'hui. En chiffres bruts, les auto-exclus volontaires étaient 49.698 en 2023, 56.458 en 2024 et déjà 61.972 au 1er juin 2025, selon la présidente de la Commission des jeux de hasard (CJH), Magali Clavie, dans une interview à SudInfo.
« En trois clics de souris, sur smartphone, ordi ou tablette, c'est fait, vous êtes fiché sur la liste EPIS », explique-t-elle.
La liste EPIS, qui regroupe toutes les personnes interdites de jeux en Belgique, comptait 188.893 noms au 1er juin 2025, tous statuts confondus. L'auto-exclusion, en forte progression, en constitue désormais une part importante.
L'auto-exclusion est souvent enclenchée à des moments de crise : pertes financières, perte de contrôle ou conscience du temps passé à jouer. Une fois la demande validée, le joueur est interdit de jouer aussi bien en ligne que dans les établissements physiques (casinos, salles de jeux, agences de paris). Cette interdiction est valable jusqu'à ce qu'il en demande la levée, laquelle ne peut intervenir qu'au minimum trois mois après la demande.
Certains joueurs ne lèvent jamais cette interdiction, d'autres naviguent entre périodes d'abstinence et reprises de jeu. Pour Magali Clavie, cette souplesse temporelle est une force :
« On peut comparer cela au mois sans alcool : le joueur profite d'une période de refroidissement pour faire le point ».
À côté des auto-exclusions, une autre catégorie d'interdits figure sur la liste EPIS : les personnes sous règlement collectif de dettes. Cette inscription est automatique, mais les chiffres sont en baisse : 100.628 en 2019 contre 60.674 au 1er juin 2025.
Pourquoi cette chute ? La présidente de la CJH avance une explication préoccupante : de moins en moins de personnes acceptent d'entrer dans un processus de règlement collectif de dettes, souvent perçu comme stigmatisant ou complexe. Une partie des joueurs problématiques échappe donc à ce mécanisme de protection automatique.
Pour ceux fichés comme mauvais payeurs à la Banque nationale mais non inclus dans un règlement de dettes, l'ancien ministre Vincent Van Quickenborne (Open VLD) avait instauré un plafond de mise hebdomadaire de 200 € par site de jeux en ligne.
Un dispositif vivement critiqué par la CJH :
« Ce plafond est énorme ! C'est une fausse protection. Ces personnes devraient être interdites de jeux tout court, comme celles sous règlement collectif de dettes », martèle Magali Clavie, qui appelle le prochain gouvernement à revoir cette mesure.
Autre point sensible : les personnes interdites via EPIS peuvent continuer à jouer aux jeux de la Loterie nationale (Win for Life, Lotto, etc.). Une exception légale que de plus en plus d'acteurs estiment incohérente.
Le parti Groen a d'ailleurs déposé une proposition de loi pour y mettre fin, et la CJH s'est déclarée favorable :
« Quand il s'agit de protéger un joueur, peu importe que l'opérateur de jeu soit public ou privé », insiste la présidente.
Magali Clavie rappelle que la liste EPIS n'est qu'un outil parmi d'autres dans la lutte contre l'addiction aux jeux. Elle encourage les joueurs et leur entourage à chercher de l'aide spécialisée, notamment via le site officiel joueurs.aide-en-ligne.be, qui propose conseils, ressources psychologiques et centres d'aide reconnus.
La croissance rapide des auto-exclusions via Itsme est un signe positif d'accessibilité à la protection, mais aussi un symptôme d'un mal plus profond : une partie croissante de la population belge ressent le besoin de se protéger du jeu. Face aux lacunes du système actuel (jeux de la Loterie, protection des surendettés partielle, plafond des mises), des ajustements législatifs et politiques sont nécessaires pour offrir une véritable politique de prévention intégrée.