vendredi 23 Mai 2025
« Est-ce qu'il me dit vraiment la vérité cette fois ? » C'est la question lancinante qu'Anne, 60 ans, se pose depuis plus de dix ans. Son fils est accro aux jeux d'argent, et cette addiction a dévasté sa vie familiale, ses finances et sa santé mentale. Dans un témoignage bouleversant publié ce vendredi par Le Soir, cette mère namuroise lève le voile sur une réalité souvent tue : celle des victimes collatérales du jeu.
Le quotidien d'Anne est rythmé par les mensonges, les vols et les promesses trahies. Dans son appartement, soigneusement tenu, un classeur renferme des reconnaissances de dettes, des lettres et des preuves accablantes. Son fils, P., a siphonné ses comptes, volé ses bijoux, contracté des dettes à son nom. Résultat : une saisie sur salaire et la vente de lasagnes faites maison pour boucler les fins de mois. « Je touche 1.650 euros par mois et je dois en payer 920 rien que pour mon loyer », confie-t-elle.
Mais au-delà du désastre financier, c'est la détresse psychologique qui marque les esprits. En 2017, Anne tente de mettre fin à ses jours. Aujourd'hui encore, elle vacille entre espoir et désillusion. « Il me dit qu'il est suivi par un psychiatre… Mais est-ce qu'il me dit vraiment la vérité ? » soupire-t-elle, usée.
Selon une méta-analyse publiée dans The Lancet, près de 16 % des adultes qui jouent en ligne présentent des troubles du jeu. En Belgique, 600.000 personnes ont joué en ligne en 2023, et chaque jour, 150.000 y accèdent. Des chiffres alarmants, d'autant plus que chaque joueur excessif entraînerait en moyenne six personnes dans sa spirale destructrice : parents, conjoints, enfants, collègues…
Pour répondre à cette détresse, le centre Alfa à Liège offre un accompagnement aux proches. Formations gratuites, soutien psychologique, séances anonymes en ligne : autant de ressources précieuses pour ceux qui vivent avec un joueur compulsif. « Il faut éviter de devenir codépendant », alerte Martine Grooten, assistante sociale et thérapeute systémicienne. « En croyant bien faire, un proche peut accentuer la dépendance, notamment en remboursant les dettes à sa place. »
La pandémie a marqué un tournant dans les habitudes de jeu. Les fermetures physiques ont dopé le marché en ligne, plus accessible, plus discret, et bien plus addictif. Aujourd'hui, il suffit d'un clic à n'importe quelle heure pour miser. Les jeunes sont de plus en plus touchés. « On a reçu des adolescents de 15-16 ans déjà dépendants aux paris sportifs », confirme Martine Grooten.
Cette accessibilité constante génère un cycle infernal : gains illusoires, pertes, volonté de se refaire, endettement, désespoir. Les proches, eux, traversent leurs propres phases : tolérance, colère, culpabilité, épuisement.
Le témoignage d'Anne est un appel à la reconnaissance. À la fois d'une maladie encore trop banalisée et du drame silencieux vécu par les proches. « Mon fils n'est pas méchant, il me téléphone quand je ne vais pas bien », dit-elle, tentant de séparer l'homme de son addiction. Une nuance précieuse, mais douloureuse.
Aujourd'hui, elle ne lui donne plus d'argent, il n'a plus les clés de chez elle. Elle garde cependant espoir, en dépit des mensonges, des départs imprévus, des dettes non remboursées. Car aimer un joueur compulsif, c'est s'accrocher à l'idée qu'un jour, il pourra enfin tourner la page.
Ressources utiles pour les proches :
Le Centre Alfa propose une séance d'information en ligne gratuite chaque mois : www.centrealfa.be
Le prénom d'Anne a été modifié pour préserver son anonymat.